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Interview Fabienne Liebens & Jan Lamote: perspectives nouvelles sur le cancer du sein

27/11/2020, par Marleen Finoulst - Malgré un taux de guérison considérable, la confrontation avec le cancer du sein reste une expérience pénible. Toutefois, les nouvelles connaissances et les nouvelles approches de la maladie sont prometteuses. Lisez l’interview optimiste de nos experts médicaux Fabienne Liebens et Jan Lamote. Ces spécialistes en oncologie mammaire ont tous 2 dirigé une clinique du sein pendant de nombreuses années.

Le cancer du sein est une maladie complexe qui nécessite les meilleurs soins spécialisés. C’est dans ce but qu’ont été créées en 2007 un certain nombre de cliniques du sein, des départements hospitaliers qui doivent répondre à des critères de qualité fixés par la loi. Les femmes et les hommes atteints d’un cancer du sein y sont pris en charge par une équipe multidisciplinaire composée de tout un éventail de spécialistes – gynécologue, radiologue, chirurgien, infirmiers spécialisés, diététicien, psychologue, etc. – qui abordent le ou la patient(e) en tant que personne et s’efforcent de parvenir au meilleur traitement possible. Ces cliniques du sein rendent compte à la Fondation Registre du Cancer, qui rédige à son tour des rapports de feedback. En cas de présomption de cancer du sein, vous devriez idéalement être référé(e) à une telle structure.

La qualité avant tout

Le Pr Fabienne Liebens a dirigé pendant plusieurs années la clinique du sein ISALA au CHU Saint-Pierre à Bruxelles. « Depuis l’avènement des cliniques du sein, les personnes des deux sexes atteintes d’un cancer du sein sont plus nombreuses à bénéficier d’un traitement multidisciplinaire et à recevoir les soins adéquats. Initialement basés sur des recommandations européennes, les critères auxquels devaient répondre ces centres spécialisés ont été assouplis en 2013… ce qui n’a pas forcément toujours été une bonne chose, observe la spécialiste. C’est pour cela qu’un certain nombre de cliniques du sein belges dont ISALA ont choisi de rejoindre l’European Society of Breast Cancer Specialists (EUSOMA ; eusoma.org), qui réalise des contrôles de qualité et attribue des certificats. » La Belgique elle-même ne prévoit aucun contrôle de qualité, au grand dam du Pr Liebens et de son collègue flamand Jan Lamote, qui a dirigé la clinique du sein de l’UZ Jette de 2009 à 2019… mais l’importance de ces structures n’en est en rien diminuée. « Je suis convaincu que les cliniques du sein ont contribué à abaisser la mortalité associée aux tumeurs mammaires. Ce sont des structures facilement accessibles pour les femmes comme pour les hommes. Elles travaillent de façon multidisciplinaire et stimulent une pratique de qualité. »

« Il faut se garder de banaliser le cancer du sein, qui coûte encore la vie à plus de 2000 femmes chaque année , souligne Fabienne Liebens. La majorité survivra, heureusement, mais la maladie n’en a pas moins un impact psychologique à ne pas sous-estimer. » Elle est aussi lourde de conséquences pour la famille, le couple et la vie professionnelle. Le choc du diagnostic est suivi par la peur de la mort et des éventuels effets secondaires du traitement, puis de possibles complications telles qu’une fatigue persistante, des troubles de la mémoire ou une perte de cheveux après chimiothérapie, une prise de poids ou des vapeurs liées à l’hormonothérapie. « Nous parlons d’une maladie grave et d’un traitement lourd, sans compter que le conjoint et les enfants aussi doivent encaisser le diagnostic », souligne le Pr Liebens. La survie moyenne après cancer du sein n’est pas mauvaise dans notre pays, mais il reste une marge d’amélioration. « La Belgique est dans le ventre mou du classement. La survie après cancer du sein dans son ensemble tourne autour de 85 %, celle des tumeurs découvertes à un stade précoce dépasse 90 %. » L’incidence de la maladie est aussi particulièrement élevée dans la population belge. « Nulle part ailleurs dans le monde le risque de cancer du sein n’est aussi élevé que chez nous, et nous ne savons pas vraiment pourquoi » précise Fabienne Liebens.

L'activité physique, la meilleure des préventions

Le risque de cancer du sein serait lié pour 30 % au mode de vie, et en premier lieu au manque d’activité physique et au surpoids. « Une heure d’activité physique par semaine abaisse le risque de 6 %, deux heures de 12 %, 3 heures de 18 %, etc., souligne le Pr Liebens avec conviction. L’exercice revêt une importance capitale dans la prévention du cancer du sein et il contribue en outre à éviter la survenue d’un surpoids. » Jan Lamote est convaincu que l’exercice a également un impact important sur le système immunitaire. « Un nombre croissant d’études vont dans ce sens. » La spécialiste s’inquiète moins de l’influence de l’alcool. « Il n’y a aucune raison de paniquer si vous aimez prendre un verre de temps en temps, même si mieux vaut ne pas boire tous les jours. En plus, si vous faites beaucoup de sport, vous allez presque automatiquement compenser ce risque. »

La majorité des femmes qui développent un cancer du sein ont passé le cap de la ménopause. Les Belges étant plus nombreuses que leurs homologues d’autres pays à prendre un traitement hormonal de substitution, il n’est pas exclu que celui-ci influence les chiffres d’incidence observés chez nous. « Le traitement de substitution hormonale accroît légèrement le risque de cancer du sein, mais pas au point de s’en laisser détourner lorsque la ménopause provoque des symptômes vraiment gênants, estime Fabienne Liebens. Je recommanderais donc d’y avoir recours si nécessaire, mais pas en prévention, et de peser soigneusement ses avantages et ses inconvénients. » Elle s’interroge aussi sur un possible impact de facteurs environnementaux tels qu’une forte concentration de particules fines sur l’incidence du cancer du sein en Belgique, mais cela reste à ce stade une simple spéculation.

Un dépistage précoce à affiner

L’intérêt d’un dépistage précoce du cancer du sein tel qu’il existe actuellement en Belgique (mammographie tous les deux ans chez les femmes de 50 à 69 ans) fait débat. S’il permet d’un côté d’identifier rapidement la maladie, il expose aussi bien des femmes à des inquiétudes inutiles explique Fabienne Liebens : « Des voix s’élèvent aujourd’hui en faveur d’un affinage du dépistage précoce, qui serait alors réservé aux femmes qui présentent un risque accru de cancer du sein. C’est ce qui se fait au Royaume-Uni depuis 15 ans. Un médecin évalue le risque individuel sur base de modèles mathématiques ; si votre probabilité de développer la maladie à un moment ou l’autre de votre vie est supérieure à 15-20 %, vous recevrez chaque année une invitation à vous soumettre à une mammographie de dépistage. S’il dépasse 30-35 %, vous devrez également passer chaque année une IRM. En présence d’antécédents familiaux, un test génétique sera en outre réalisé sur un échantillon de salive. La majorité des femmes présentent toutefois un risque inférieur à 15 % et ne doivent pas subir de dépistage. » Fabienne Liebens est convaincue que c’est là la voie à suivre. « Si vous dépistez l’ensemble des femmes, vous ne trouverez rien chez la majorité d’entre elles, alors que le test peut être une cause d’angoisses ou d’examens complémentaires. » Une grande étude européenne est en cours pour explorer ces possibilités de façon plus détaillée.

De nouvelles perspectives

L’une des perspectives nouvelles qui ont émergé ces dernières années est que le cancer du sein n’est pas une maladie unique mais recouvre en réalité trois tableaux différents, comme nous l’ont appris les connaissances moléculaires », explique Jan Lamote. Plutôt que de considérer les cancers du sein comme un seul grand groupe, on tend plutôt aujourd’hui à distinguer trois catégories : les tumeurs hormonosensibles, les tumeurs sans récepteurs hormonaux et enfin les cancers du sein HER2-positifs (HER2 étant un récepteur qui se trouve sur les cellules cancéreuses et en régule la croissance). « Cette distinction est très importante, parce que ces trois formes doivent être traitées différemment, clarifie le Dr Lamote. Même leur prise en charge chirurgicale n’est pas forcément la même. »

« Après une chirurgie dite conservatrice, les cancers non-hormonosensibles ont un pronostic un peu moins bon que ceux qui sont sensibles aux hormones. Idem pour les cancers du sein héréditaires (BRCA1), qui sont le plus souvent non-hormonosensibles. Il est donc possible que les interventions qui épargnent le sein conviennent moins bien aux tumeurs de ce type et que celles-ci doivent être opérées autrement… mais nous ne savons pas encore le fin mot de l’affaire. »

Tests d'expression génique

Lorsqu’une tumeur mammaire n’a pas de récepteurs hormonaux, il est évident qu’un traitement qui cible ces derniers restera sans effet. Ceci explique du même coup pourquoi il est si important de connaître les spécificités des cellules cancéreuses avant d’administrer des médicaments. « Pour ce faire, nous utilisons des tests d’expression génique, qui dressent le tableau du code génétique des cellules cancéreuses, explique Jan Lamote. Ils contrôlent non seulement la présence ou l’absence de récepteurs, mais aussi celle de cellules progénitrices, les précurseurs des cellules mammaires saines. Il existe plusieurs types de cellules mammaires : celles qui bordent les conduits lactifères sont hormonosensibles, les autres non. Un cancer du sein qui se développe dans les cellules hormonosensibles des conduits lactifères ne réagira donc pas au traitement de la même manière qu’une tumeur apparue dans des cellules non-hormonosensibles d’une autre zone du sein. Les tests d’expression génique utilisés à l’heure actuelle nous permettent de déterminer dans quelles cellules le cancer trouve son origine et donc quels seront les médicaments les plus efficaces. »

« Les tests d’expression génique sont remboursés depuis le 1er juillet 2019 », ajoute Fabienne Liebens. Mais pas pour tout le monde, malheureusement. Les conditions pour bénéficier d’un remboursement sont en effet très strictes, parce que ces tests sont extrêmement coûteux et que l’on a donc choisi de sélectionner les patients qui en retireront le plus grand bénéfice. Sont candidats au remboursement principalement de jeunes patients avec une tumeur hormonosensible à un stade précoce qui, en raison de facteurs de risque supplémentaires, pourraient clairement retirer un bénéfice d’un traitement de suite par chimiothérapie. « En réalité, il ne s’agit donc que d’un groupe limité », précise Jan Lamote.

Certaines cellules cancéreuses sont aussi plus agressives (comprenez, plus promptes à provoquer des métastases) que d’autres. « Si vous savez que vous êtes face à un cancer très agressif qui risque facilement de provoquer des métastases, il peut par exemple être préférable de privilégier d’emblée une mastectomie complète plutôt qu’une chirurgie conservatrice, poursuit Jan Lamote. À l’inverse, il n’est pas nécessaire de réaliser une radiothérapie postopératoire chez une patiente atteinte d’une petite tumeur hormonosensible peu agressive. » Dans le futur, les tests d’expression génique devraient nous permettre de mieux adapter le traitement du cancer du sein au comportement de chaque tumeur individuelle.

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