Futur médical
TraitementAprès avoir passé des décennies à élaborer des thérapies innovantes et efficaces, la recherche scientifique adapte ses objectifs. Désormais, la priorité est de mieux cerner les spécificités de chaque maladie, ainsi que de personnaliser et d'alléger les traitements.
« Le cancer du sein devient une maladie chronique. »
"Le grand public se passionne lorsque les scientifiques découvrent un gène ou parviennent à guérir une souris, explique le Dr Françoise Meunier, Director Special Projects à l'Organisation Européenne pour la Recherche et le Traitement du Cancer (EORTC – Bruxelles). Pourtant, de telles données n'ont encore aucune incidence directe pour le patient!" En Belgique, il faut avouer que la recherche clinique, pourtant indispensable, reste méconnue et suscite peu d'intérêt de la part de nos compatriotes. Or, il n'y a pas d'évolution thérapeutique sans recherche clinique. Cette expérimentation humaine représente d'ailleurs la dernière étape d'un très long processus. Car, une fois que les chercheurs ont compris ce qui se passe à l'échelle cellulaire et validé ces données chez l'animal, ils doivent, en dernier ressort, les évaluer et les appliquer chez l'homme.
« Aujourd’hui, les pronostics sont meilleurs, beaucoup de patientes guérissent. Nous devons donc nous préoccuper de leur qualité de vie à long terme. »
La qualité de vie n'est pas oubliée
La recherche clinique représente donc une étape indispensable. Et ce, afin qu'un nouveau médicament soit disponible sur le marché et/ou qu'une stratégie thérapeutique soit reconnue afin d'être utilisée en pratique pour tous les malades. "L'une des spécificités de nos études est également d'analyser le suivi à long terme, précise le Dr Meunier. Je suis médecin en cancérologie depuis plus de 40 ans: dans les années 70, le cancer représentait une sentence de mort et l'artillerie lourde, aux complications importantes, était nécessaire pour tenter de l'éradiquer. Aujourd'hui, les pronostics sont meilleurs, énormément de patients guérissent… C'est particulièrement vrai dans le domaine du cancer du sein car les diagnostics sont précoces et les tumeurs bien mieux contrôlées. Nous devons donc nous préoccuper de la qualité de vie à long terme de ces femmes, ainsi que de leur fertilité, mais aussi de tous les aspects sociaux, c'est-à-dire des questions relatives aux prêts financiers, à l'emploi, aux accès aux mutualités et aux assurances… Voilà l'objectif du "Survivorship Project".
« Notre objectif est de mieux cerner les caractéristiques génétiques de chaque tumeur. Nous espérons ainsi ne proposer une chimiothérapie qu’aux femmes qui en ont vraiment besoin. »
Un suivi à long terme
L'EORTC est une association académique internationale sous la loi belge. Ce qui la différencie grandement de l'industrie pharmaceutique: "Quand un laboratoire mène une étude pour la mise au point d'un médicament, il ne voit plus grand intérêt à suivre le malade une fois que l’EMA (European Medicines Agency) ou la FDA (Food and Drug Administration) a délivré l'approbation de mise sur le marché. Contrairement aux chercheurs cliniciens qui continuent à collecter les données, même après 20 à 25 ans". Mission d'autant plus ardue que, pour des raisons éthiques, l'EORTC ne possède aucune coordonnée personnelle: ce sont les patients eux-mêmes qui doivent envoyer leur feedback chaque année à leur médecin. "Grâce à cela, nous disposons d'un important follow-up médical. Dorénavant, nous nous intéressons également à la qualité de vie de ces personnes. Et ce, afin d'offrir de fabuleux messages d'espoir à ceux qui sont actuellement confrontés à la maladie. C'est notre challenge actuel."
Une médecine plus individualisée
L'autre challenge de la recherche, c'est la "precision medicine". Une médecine personnalisée en fonction du patient, de la tumeur, de ses caractéristiques génétiques, etc. Pour le Docteur Konstantinos Tryfonidis, Clinical Research Physician à l'EORTC, "Le cancer du sein est de mieux en mieux étudié. Désormais, nous savons qu'il y a plusieurs cancers du sein, avec de nombreux sous-types. Il s'agit d'informations essentielles, car tous ne nécessitent pas les mêmes traitements". C'est notamment le but d'une étude en cours (la plus vaste jamais réalisée en Europe!), effectuée auprès de 6.000 femmes atteintes du cancer du sein. "L'objectif n'est pas de tester un nouveau traitement, car toutes ces personnes sont suivies et soignées, souligne Laurence Collette, Associate Head of Statistics Department à l'EORTC. Mais de mieux cerner les "signatures moléculaires" de chaque tumeur, et donc leurs caractéristiques génétiques. Ce qui est vraiment novateur! L'approche classique consiste à se baser uniquement sur des critères cliniques (ganglions, dimension de la tumeur, etc.). Dans cette étude, nous tenons également compte d'une classification génétique afin de voir si on améliore ainsi la décision thérapeutique. Nous espérons alors ne proposer une chimiothérapie qu'aux femmes qui en ont vraiment besoin."
Des thérapies allégées
Cette étude sera analysée par les statisticiens de l'EORTC et les résultats seront disponibles en 2016. Ce qui ne marquera pas pour autant son point final: "Avoir ainsi recruté 6.000 personnes signifie que nous avons récolté et stocké des milliers d'échantillons de tissus, de sang, etc., note le Dr Konstantinos Tryfonidis. Ils vont permettre, à l'avenir, de pratiquer de nouvelles études. Par exemple, l'analyse de certaines aberrations dont on n'avait pas conscience à l'époque où on a entamé le recrutement en 2007, mais dont l'importance est mieux cernée aujourd'hui."
L'objectif des chercheurs est également d'alléger les traitements. "C'est l'une des stratégies du monde académique, différente de celles de l'industrie pharmaceutique, rappelle le Dr Meunier. Nous testons des "désescalades" de médicaments, pour lesquels nous envisageons de réduire les doses et/ou les durées d'administration. Et donc leur agressivité et leurs effets secondaires. Nous y sommes parvenus pour la leucémie, la maladie de Hodgkin (cancer du système lymphatique), ainsi que pour les sarcomes… Voici plusieurs années, nous avons eu l'audace et le courage de ne pas irradier le cerveau d'enfants souffrant de leucémie. Et nos résultats ont été à la hauteur de nos espérances! La première des patientes fut une fillette âgée de 9 ans: aujourd'hui, elle est maman de trois enfants et ingénieur civil. Voilà une preuve que les désescalades sont vraiment possibles."
La qualité des soins belges
Le cancer du sein est une pathologie désormais mieux contrôlée et de meilleur pronostic. "De plus en plus de patientes reçoivent exactement le traitement dont elles ont besoin et auquel elles peuvent répondre", rassure Laurence Collette. "Comme beaucoup de cancers, celui du sein devient une maladie chronique, ajoute le Dr Meunier. Nous parvenons à éviter qu'il soit mortel, mais vous risquez de souffrir d'une rechute et ce, des décennies après le premier diagnostic. Rechute pour laquelle vous pouvez être traitée à nouveau et connaître une rémission assez longue, marquée par une bonne qualité de vie."
D'autres nouvelles agréables à entendre: en Belgique, les malades sont très bien soignés! "Nous bénéficions d'un système de soins de santé extrêmement performant, avec un accès garanti à des thérapies de qualité. En Europe, et même au niveau intercontinental, la Belgique demeure un pays-phare grâce à son expertise et à sa participation importante aux recherches cliniques internationales. Et tous les jours, on essaie encore de s'améliorer!"
La recherche, ça me concerne?
Est-il possible d'être intégrée à une étude sans le savoir?
Non. Une fois le diagnostic posé chez une personne susceptible de participer à une étude, le médecin fournit toutes les explications nécessaires sur la pathologie, les alternatives thérapeutiques, etc. Vous devez alors signer un "consentement éclairé", prouvant que vous acceptez d'y adhérer, et ce, en toute connaissance de cause. Et bien sûr, vous pouvez aussi changer d'avis à tout moment. En général, 95% des personnes acceptent d'y collaborer et les désistements sont plutôt rares.
Ai-je la garantie d'être bien soignée?
Oui, car vous êtes ainsi incluse dans un protocole d'expérimentation clinique permettant éventuellement de bénéficier d'une nouvelle approche. Avec donc un espoir supplémentaire… D'autre part, chaque dossier bénéficie d'une surveillance, d'audits et de revue réalisée par un comité d'éthique et une vaste équipe médicale.
Suis-je toujours couverte par le secret professionnel?
Oui. Toutes les données restent confidentielles et votre identité n'est jamais révélée.
Pourrais-je être tenue au courant des résultats?
Effectivement, via votre médecin, mais à condition d'être patiente: il faut souvent jusqu'à 5 ans pour le recrutement, puis les conclusions cliniques sont finalisées 8 à 10 ans après l'initiation de l'étude.
EORTC: Une organisation à découvrir
L’EORTC est une organisation internationale sous la loi belge, sans but lucratif, née en 1962, de l'enthousiasme de cancérologues européens, dont le belge Henri Tagnon. Unique en son genre, elle propose et réalise des études cliniques au niveau européen, sur tous les cancers. Présente dans 32 pays et 300 hôpitaux universitaires, elle traite chaque année plusieurs milliers de patients.
Pour en savoir plus: www.eortc.org.
Source : Michèle Rager, avec la collaboration du docteur Françoise Meunie
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