Interview avec Birgit Carly, spécialiste en chirurgie mammaire
Traitement Chiffres et faits Centre d'expertise du cancer du sein26/10/2022 - Les maladies cardiovasculaires tuent davantage de femmes que le cancer du sein et pourtant, c’est surtout le second qui fait peur. Pour le Dr Birgit Carly, responsable de la clinique du sein Isala au CHU Saint-Pierre à Bruxelles, il y a un vrai problème de communication.
Stade précurseur
Une tumeur découverte très tôt n’est pas encore un cancer au sens strict du terme mais ce que l’on appelle un carcinome canalaire in situ (CCIS), qui correspond à un stade précurseur de la maladie. Ce CCIS se caractérise par la présence de cellules malignes dans les canaux galactophores, mais sans atteinte du tissu mammaire avoisinant. Il peut être découvert lors d’une mammographie de dépistage ou à l’auto-examen. Le choix de l’inclure dans les chiffres du cancer du sein a contribué à propulser la Belgique dans le haut du classement mondial dans ce domaine. Faut-il en déduire que nous dépistons trop ? « Non, et il n’est absolument pas question d’un surdiagnostic », clarifie Birgit Carly, spécialiste en chirurgie mammaire et responsable de la clinique du sein Isala du CHU Saint-Pierre à Bruxelles. « Tant que nous ignorons quelles lésions précancéreuses évolueront ou non vers un vrai cancer du sein, nous devons toutes les traiter. » Des études sont toutefois en cours pour tenter de clarifier ce point. « Ce n’est que lorsque les résultats seront disponibles que nous pourrons peut-être nous permettre, dans certains cas, de nous limiter à un suivi attentif en présence d’un CCIS. » Birgit Carly est activement impliquée dans Europa Donna Belgium et Pink Ribbon, et remue ciel et terre pour assurer à toutes les femmes l’accès aux meilleurs traitements possibles.
Connaissez vos seins
Les femmes elles-mêmes découvrent au moins autant de cancers du sein que les campagnes de dépistage. « Je ne parle pas forcément ici de l’auto-examen, mais du simple fait de connaître sa poitrine. Lorsqu’une tumeur est découverte, il n’est pas rare que les patientes s’accusent. N’est-ce pas leur alimentation qui est en cause ? Ou leur consommation d’alcool ? À chaque fois, nous devons les rassurer », poursuit la chirurgienne. « Il y a vraiment un problème de communication autour du cancer du sein. Il suscite beaucoup plus d’angoisses que les effets du tabagisme ou les maladies cardiovasculaires… et c’est tout à fait irrationnel, car les dangers du tabac et la mortalité des maladies cardiovasculaires sont bien plus importants ! »
Malentendus autour de l’amputation
Il fut un temps où le cancer du sein était presque automatiquement synonyme d’amputation, mais la chirurgie d’épargne mammaire a gagné beaucoup de terrain ces dernières décennies. « L’idée que la survie est supérieure après amputation a la vie dure, mais elle est infondée », souligne le Dr Carly. « Le risque de rechute existe toujours, même après amputation complète. Si le cancer refait surface, c’est que des cellules cancéreuses s’étaient déjà, au moment de l’opération, propagées à d’autres endroits du corps sans pouvoir être détectées. Il est très rare qu’une récidive découle de la présence de cellules cancéreuses résiduelles dans le sein opéré. »
Plan de traitement
Après le diagnostic de cancer du sein et la détermination du stade, du type et de l’extension de la tumeur, on passera à l’élaboration d’un plan de traitement. « Il existe pour chaque type des directives ou instructions très précises que le médecin devrait suivre », explique la spécialiste. Les tumeurs hormonosensibles de moins de 3 centimètres, par exemple, seront d’abord retirées dans le cadre d’une opération d’épargne mammaire. La patiente subira ensuite une série de séances de radiothérapie suivies, plus tard, d’une hormonothérapie. Lorsque la taille de la tumeur dépasse 3 à 5 cm, une amputation peut être nécessaire. Elle sera parfois suivie d’une radiothérapie. Les femmes qui souffrent d’un cancer du sein triple négatif de plus d’un centimètre recevront d’abord une chimiothérapie. « Le fait de commencer par une chimio présente l’avantage de réduire la tumeur, qui sera donc plus facilement opérable. Cela permettra aussi de savoir si les cellules cancéreuses sont sensibles aux médicaments utilisés. » Lorsque la cure préopératoire n’a pas eu suffisamment d’effet, l’opération est parfois suivie d’une nouvelle chimiothérapie.
« Nous n’amputons jamais sans crier gare », souligne-t-elle encore. S’il s’avère au cours de l’opération que la tumeur est plus étendue qu’on ne le pensait, l’intervention programmée sera terminée et la situation sera d’abord examinée avec la patiente. « Autrefois, certaines femmes découvraient au réveil qu’elles avaient été amputées, mais ce scénario n’est plus envisageable de nos jours. La patiente doit être informée à l’avance de ce qui l’attend. »
« Il est très rare qu’une récidive découle de la présence de cellules cancéreuses résiduelles dans le sein opéré. L’idée qu’il vaut mieux être amputée est sans fondement. » - Birgit Carly
Reconstructions
Il est aussi de plus en plus rare que la reconstruction du sein soit réalisée immédiatement après l’opération. « Lorsque la patiente doit encore subir une radiothérapie, le risque de complications est trop important », explique le Dr Carly. « Actuellement, la reconstruction mammaire n’est réalisée qu’une fois le traitement complètement terminé. Il existe pour cela une foule d’approches différentes, que le chirurgien plasticien devrait toujours exposer très clairement à la patiente afin de parvenir à un choix correspondant à ses attentes. » Malheureusement, les résultats ne sont pas toujours terriblement esthétiques et il ne faut pas sous-estimer le risque de complications. Précisons aussi, car on le sait trop peu, que le tabagisme constitue une contre-indication à la reconstruction. « En principe, les femmes qui fument ne sont pas candidates à une reconstruction mammaire parce que le risque de complications est trop élevé », clarifie Birgit Carly. « Leurs petits vaisseaux sanguins ont été détruits par la nicotine. »
Toutes les femmes ne sont du reste pas demandeuses d’une reconstruction. « J’ai des patientes qui sont parfaitement heureuses avec un seul sein », souligne la spécialiste. « D’autres font retirer leur prothèse parce qu’elle leur cause trop d’ennuis, d’autres encore ne jurent que par les prothèses externes. » Il est important que les patientes aient la possibilité de réfléchir aux différentes options disponibles… mais ce qui est certain, c’est qu’il n’est jamais anodin d’opérer un sein, symbole de vie, de sexualité et d’intimité.
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