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« Je suis indépendante, je ne tombe pas malade...»

Diagnostic Après le cancer du sein Retour au travail Pink Monday

07/01/2022 - Un diagnostic de cancer du sein a inévitablement un impact sur la situation professionnelle ; pour les indépendant(e)s, les choses sont généralement encore plus compliquées. Comment s’en sortir sur le plan financier ? Les clients resteront-ils ? Comment prendre simultanément soin de soi et de son entreprise ?

« Les indépendantes victimes d’un cancer du sein travaillent parfois jusqu’à la veille de leur opération... et leur principale préoccupation, c’est de pouvoir reprendre le boulot le plus vite possible. » - Expert Bodytalk Evelien Philips, doctorante à la VUB

Peu après le diagnostic de cancer du sein, en plus de l’inquiétude pour sa propre santé viennent aussi les questions portant sur sa vie professionnelle. Pour les indépendants, en particulier, l’idée de devoir s’interrompre de façon prolongée peut être encore plus angoissant. C’est ce qu’il ressort d’une enquête réalisée il y a quelques années par l’UCM (Union des Classes Moyennes) et son pendant flamand Unizo : elle a révélé que reprendre le travail le plus rapidement possible après un problème de santé était, pour les indépendants interrogés, la priorité des priorités. La majorité déclaraient même vouloir continuer pendant le traitement, fût-ce éventuellement à un rythme adapté. Il semble d’ailleurs que 85 % poursuivent peu ou prou leurs activités alors qu’ils sont en incapacité de travail.

Indépendant par nécessité

Après un diagnostic de cancer, les indépendants se retrouvent souvent dans une situation professionnelle encore plus précaire que les salariés. « Nous devons y être plus attentifs, car le nombre d’indépendants augmente d’année en année dans notre pays », souligne Evelien Philips, doctorante à la VUB (Vrije Universiteit Brussel) spécialisée dans les besoins spécifiques des indépendants victimes d’un cancer. « Il y a dix ans, la Belgique comptait un peu moins d’un million d’indépendants ; aujourd’hui, ils sont 1.150.000. En moyenne, il s’agit d’une population un peu plus âgée, puisque nombre d’indépendants ont plus de 50 ans. Certains choisissent ce statut par nécessité, parce qu’ils ont peu de chances sur le marché de l’emploi ‘ordinaire’ mais doivent continuer à travailler, ce qui les rend particulièrement vulnérables. »

Moins bien protégés

Les indépendants jouissent clairement d’une moins bonne protection sociale, même si la situation s’est fort améliorée ces dernières années. « Il y a encore peu de temps, ils ne pouvaient bénéficier d’une allocation qu’après un délai de carence d’un mois, rappelle Evelien Philips. Depuis, cette disposition a été supprimée mais alors que les salariés sont protégés dès le premier jour et ce, quelle que soit la durée de l’incapacité de travail, les indépendants ne sont couverts que pour les incapacités d’une durée d’au moins huit jours. En plus, la période d’incapacité ne débute, pour eux, qu’au moment où le médecin signe l’attestation ; quant à l’allocation maladie, elle est presque systématiquement plus faible pour eux que pour les salariés. Chez ces derniers, elle prend en effet en compte le salaire brut, tandis que les indépendants touchent une somme forfaitaire qui ne tient compte que de la composition du ménage. Il n’est donc pas rare qu’ils reçoivent le minimum. »

Tous les indépendants ne disposent pas non plus d’une assurance complémentaire « revenus garantis », même s’ils sont de plus en plus nombreux à souscrire ce type de police, précise Evelien Philips. « Ces assurances ne sont pas bon marché, mais s’en passer et tomber malade risque de coûter encore plus cher. Je comprends qu’un indépendant qui débute ne s’assure pas d’emblée, vu le coût financier non négligeable quand on ne sait pas encore si les affaires vont marcher, mais je plaide pour qu’on lui rappelle cette possibilité après un an, en insistant sur son importance. »

Continuer à travailler

L’indépendant lambda n’existe pas : boulangers, journalistes, artistes, dentistes, plombiers, coaches sportifs, thérapeutes ou entrepreneurs en bâtiment vivent des réalités spécifiques. Certains travaillent seuls, d’autres ont du personnel ; certains dépendent de leurs clients, d’autres de leurs commanditaires ; un indépendant contraint de fermer temporairement son commerce n’est pas dans la même situation qu’un informaticien freelance qui pourra immédiatement être remplacé par un collègue. Divers scénarios sont donc possibles, de l’arrêt de travail complet pour se concentrer pleinement sur le rétablissement à la poursuite d’activité, en passant par le recrutement d’un collaborateur pour faire tourner la boutique.

« La plupart des indépendants veulent rester actifs le plus longtemps possible. Si vous leur demandez ce qu’ils feraient en cas de maladie, ils vous répondront souvent : ‘Je suis indépendant(e), je ne tomberai pas malade’. J’ai connu des femmes atteintes d’un cancer du sein qui ont continué à travailler jusqu’à la veille de leur opération puis repris une ou deux semaines plus tard. Et même pendant leurs traitements, bon nombre d’indépendants poursuivent autant que possible leurs activités. Dans le meilleur des cas, ils réduiront un peu leurs horaires, mais il n’arrive quasiment jamais qu’ils arrêtent complètement. Quant à ceux qui passent par une période d’incapacité de travail, ils s’y remettront plus rapidement, avec le risque qu’ils ne se reposent pas suffisamment et décrochent à nouveau par la suite. »

Loyauté et identité

Comment expliquer que les indépendants continuent si souvent à en faire trop lorsqu’ils ont des problèmes de santé ? La pression financière a clairement un rôle à jouer : ils doivent souvent faire en sorte que leurs clients ne partent pas à la concurrence ; de plus, être malade a un coût qui peut être difficile à assumer avec une simple allocation. Evelien Philips souligne toutefois qu’il n’y a pas que ces motifs économiques. « Souvent, les indépendants ont un réel sentiment de responsabilité et de loyauté envers leurs clients qui comptent sur eux : ils ne veulent pas les décevoir. La plupart sont aussi très attachés à l’entreprise qu’ils ont construite et à laquelle ils se sont dévoués corps et âme. Elle fait souvent partie intégrante de leur identité. Cela peut expliquer que continuer à travailler – ou à tout le moins à s’impliquer – contribue à leur bien-être psychologique. C’est sans doute aussi une manière, pour eux, de n’être pas que des malades. Aussi poursuivre une activité, fût-ce en levant le pied, peut avoir un effet positif, voire thérapeutique. »

Le statut d’indépendant n’a donc pas que des désavantages lorsqu’on est malade, souligne Evelien Philips. « Lorsque ces personnes veulent reprendre leurs activités après une période d’incapacité de travail, elles sont aussi libres de décider quand elles sont prêtes et ce qu’elles se sentent capables d’assumer ; un salarié sera toujours tenu à ses jours et heures de travail. La plupart des indépendants voient cette flexibilité dans la gestion de leurs horaires comme un atout majeur. »

Texte rédigé par Carine Stevens

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