Interview Ann en Katrien: "J’étais persuadée que j’étais porteuse, mais j’ai été surprise par le fait que ma sœur soit aussi porteuse."
Prévention Dépistage Amitié Soins psychosociauxLa maman d’Ann et Katrien avait 52 ans quand elle a eu le cancer du sein pour la première fois. Cinq ans plus tard une tumeur maligne a réapparu, cette fois-ci dans son autre sein. Quelques années plus tard quand leur mère a été diagnostiquée séquentiellement d’un cancer de la thyroïde, d’un cancer du poumon et d’un cancer des os, sa famille savait que leur mère bien-aimée n’allait finalement plus s’en sortir. Elle est décédée durant l’hiver de 2011. Elle s’était fait tester et savait qu’elle était porteuse du gène héréditaire, maintenant c’était au tour de ses filles…
On vous présente Ann et Katrien, deux sœurs, comme deux petits pois dans une cosse, et toutes les deux porteuses du gène héréditaire qui cause le cancer.
Vous vous êtes fait tester toutes les deux pendant que votre maman était encore en vie, mais finalement elle n’a jamais su les résultats?
Ann : Effectivement, maman est décédée en février 2011 et nous avons appris les résultats qu’en avril.
Un choc pour vous?
Ann: Oui et non. J’étais persuadée que j’étais porteuse, le résultat ne m’a donc pas choquée, j’étais préparée à apprendre cette nouvelle. J’ai été surprise par le fait que ma sœur soit aussi porteuse, je ne m’y attendais pas du tout
Katrien: Personne dans la famille ne s’y attendait, on soupçonnait qu’une personne soit porteuse et l’autre non. Surtout notre père a été bouleversé par la nouvelle… D’abord il avait perdu sa femme et maintenant il s’avère que ses deux filles étaient aussi porteuses.
Vous avez eu besoin de temps pour vous y faire ou votre décision avait déjà été prise à l’idée d’un « imaginons que… » ?
Katrien :Absolument, c’est justement la raison pour laquelle on s’est fait tester, pour avoir une certitude et pouvoir agir. Au finale on vit avec une bombe à retardement dans son corps, le pourcentage du risque était trop élevé qu’on soit aussi victime un jour ou l’autre. En tant qu’épouse et mère, on ne peut pas prendre ce risque vis-à-vis de sa famille. Tu sais : j’ai eu du mal avec les gens qui n’étaient pas du même avis, les gens qui se posaient la question si on était sûr de prendre une telle décision drastique, parce qu’on ne sait jamais, peut-être que tu ne tomberas pas malade et tout ceci n’aura servi à rien, j’avais parfois du mal avec de tels commentaires naïfs. Une décision pareille ne se prend pas à la légère, on n’a pas besoin des conseils et des doutes du voisin ou d’une connaissance lointaine.
Ann : Absolument, on s’était dit à l’avance, si on est porteuse, on se fait enlever les seins préventivement.
Finalement, vous êtes toutes les deux porteuses, est-ce que c’était plus facile à gérer ?
Ann: En fait oui, quand on a pris les premiers rendez-vous, on y est allé toutes les deux. Je me souviens encore que le médecin était un bel homme, on en rigolait dans la salle d’attente.
Katrien :L’humour a toujours été présent, je pense que c’était notre façon de relativiser et de pouvoir gérer le contretemps que nous avons subi à ce moment-là.
En septembre 2011 vous vous êtes fait opérer, avec un intervalle de 15 jours. D’abord c’était Ann, et puis Katrien.
Katrien : ma sœur s’est fait opérée avec succès, mais après trois jours un sein montrait des symptômes de rejet. Il y a peu de chances que cela arrive, mais malheureusement c’est ce qu’il s’est passé chez ma sœur.
Ann: Effectivement! Je me sentais pourtant très bien, le deuxième jour je me promenais déjà dans le couleur et j’ai été boire un café dans la cafeteria et le troisième jour j’avais même pris rendez-vous le matin chez le coiffeur. Parfois je me demande si je me suis trop forcée, si j’ai trop voulu prouver à quel point j’étais « forte ». Selon le médecin ça n’a rien avoir, j’ai n’ai juste pas eu de chance.
Katrien : Tu penses quand même à ça et au final ça a affecté aussi mon opération. Ils m’ont gardé plus longtemps au mid-care et m’ont suivi de plus près. Ces premiers 15 jours étaient l’enfer pour moi. Comme si je m’étais fait écraser par un camion…
Ann : Quelques semaines avant mon opération j’ai aussi fait enlever mes ovaires, donc j’étais déjà dans ma ménopause. Je me souviens encore que j’étais dans mon lit, plein de sueur.. Je n’ai pas reçu de médicament, j’ai du « subir ».. Je peux t’assurer: par moments c’était vraiment la souffrance!
Katrien: Mais je tiens quand même à préciser : après six semaines j’ai pu reprendre le jogging !
Ann : J’ai un sein de tissu naturel et un en silicone, à vue de l’œil on ne voit pas la différence, mais je le sens quand même. Mais attention : je ne veux pas faire peur aux femmes, parce que c’est comme ma sœur le dit, la probabilité de rejet est minimale, j’ai juste eu de la malchance.
Est-ce que vous vous inquiétez moins maintenant que vous savez que, grâce à votre opération, vous avez pu réduire fortement la chance d’être atteinte?
Ann : Pas vraiment, car nous avons des enfants toutes les deux. Elles aussi peuvent être porteuses et ça me rend vraiment triste, pour moi-même je n’ai pas été triste, mais ça me ferait énormément de peine si ce c’était le cas. Ce sont tes propres enfants, n’est-ce pas. Ton propre sang.
Katrien: Pour moi-même je le vois quand même comme une possibilité d’échapper belle. Ce qui concerne mes filles c’est plus difficile. Ma fille ainée a 20 ans maintenant et on n’en a déjà parlé. Elle veut se faire tester aussi, mais on n’arrête pas de le reporter… Elle étudie encore et il y a toujours quelque chose qui s’intercale… des examens, des projets, un devoir qui doit être terminé d’urgence… La différence est énorme aussi. J’avais 37 ans quand j’ai reçu le verdict. J’avais déjà mes enfants. Pour ma fille c’est tout à fait différent, elle a encore toute sa vie devant elle, est-ce qu’elle veut des enfants ou pas? Etc…
Entretemps plus de 7 ans ont écoulé, l’opération a-t-elle eu des conséquences?
Ann: Si je pouvais retourner en arrière, j’aurais fait enlever mes ovaires pendant l’opération, tout comme ma sœur, et pas à l’avance. Et je me serais quand même plus reposé après l’opération. Mais je suis satisfaite de ma décision.
Katrien: je ne me suis jamais vraiment attardée sur ça car on pouvait avoir une longueur d’avance sur le cancer. Je le vois comme ça : mes seins sont toujours là, mais elles ont reçu un autre rembourrage. Comparez-le avec un manteau d’hiver : que ce soient des vraies plumes ou pas, ça reste un manteau.
Ann : Bien sûr on tient des séquelles de l’opération,on a toutes les deux une grande cicatrice sur le bas du ventre, mais l’avantage c’est que, grâce au fait d’avoir enlevé la graisse abdominale, on a un ventre plat maintenant.
Katrien: C’est aussi hilarant pendant l’été quand on sort de la mer après une petite séance de natation, et que notre bas de maillot est descendu un peu, on voit bien la grande cicatrice et tu peux voir les gens se dire: “Mince, quel bébé elles ont mis au monde pour garder une cicatrice pareille de leur césarienne. »
Ann (gauche) et Katrien (droite), deux femmes fantastiquement fortes. Deux sœurs avec la même histoire.
Interview, Muriel Julet
Photo : Cato Catteeuw
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